samedi 9 janvier 2010

...Et à la tant attendue

demie des dix-huit heures trente, Henri Pollak, notre pote à nous, si toutefois il n'était ni de garde, ni de piquet d'incendie, ni consigné, ni puni, serrait les mains molles de Karabinowicz, de Falempain, de Van Ostrak le sale raciste et du petit Laverrière (chaleureusement surnommé Brise-glace) fourrait dans la poche de son blouson kaki sa feuille de permission nocturne dûment tamponnée par la Semaine, enfourchait son pétaradant petit vélomoteur (à guidon chromé), saluait règlementairement le lieutenant de service, l'officier de bouche, l'adjudant d'office, le chef de block, le maréchal des logis de semaine, le brigadier de jour et les hommes de garde qui l'ovationnaient de divers cris d'animaux, car il était plutôt bien vu, Henri Pollak (pas fier, de la classe, une grande mansuétude sous des dehors peut-être un peu bourrus) et il prenait son vol tel l'oiseau de Minerve à l'heure où les lions vont boire, regagnait, à la vitesse de l'épervier aux yeux songeurs, son Montparnasse qui lui avait donné le jour et où l'attendaient sa bien-aimée, sa piaule, nous ses potes et ses chers livres, s'extirpait de la tenue tant honnie, se changeait en un tournemain en un flagrant civil, le torse à l'aise dans une camisole de cashmere, la jambe moulée dans une paire de djinns, le pied bien pris dans des mocassins patinés à l'ancienne, et venait nous retrouver, nous ses potes, dans le café d'en face, où l'on parlait Lukasse, Heliphore, Hégueule et autres olibrii de la même farine, car on était tous un peu fêlés à l'époque, jusques à des heures aussi avancées que nos idées.
...





"Quel petit vélo à guidon chromé au fond de la cour ?"
 Georges PEREC, 1966

Aucun commentaire:

Enregistrer un commentaire